Nous sommes en 2021, en fin d’année scolaire « covidée » (ce qui a un peu compliqué les choses tout de même), et hier, j’ai du expliquer à une personne qui gère des autistes scolarisés, que je ne peux pas forcer ma fille à se rendre en cours quand elle a une migraine ou une crise d’angoisse (et j’ai fait très court, comme ce ne sont pas ses seules comorbidités évidemment).
J’ai du mal à décolérer d’être obligée de me répandre en justifications pour que la santé physique (et donc mentale comme ça va ensemble) de ma fille soit prise en compte par quelqu’un qui est sensée connaître les TSA. J’ai beau essayer de prendre du recul, et me dire que j’ai peut être (sûrement) des connaissances qu’elle n’a pas, ça m’est insupportable qu’encore une fois, ce qui « inquiète » cette personne, ce soit l’absence (la conséquence) et non la santé (la cause) de ma fille. C’est réfléchir à l’envers, sans humanité et ça renforce cette sensation qu’on a de devoir toujours faire plus que les non autistes pour être considérés.
C’est juste honteux et je ne veux pas que ma fille (et les prochaines générations d’autistes) passe sa vie à forcer, camoufler et s’effondrer juste parce que les neurotypiques ne prennent pas en compte ses douleurs ou problèmes de santé sous prétexte qu’elle est autiste. Et si je suis autant en colère, c’est parce que c’est exactement de cette façon qu’on m’a totalement bousillée, et que la douleur physique est une chose que je connais très bien en plus de souffrir mentalement d’avoir transmis tout ça à ma fille. Je lui dois donc ce combat! Et je le dois également à toutes celles et ceux que je vois souffrir dans l’indifférence la plus totale et qui se prennent des réflexions ou des coups de pression par leur employeur ou collègues, jusqu’à qu’ils craquent totalement… Ceux qui se prennent des brimades alors qu’ils recherchent mais ne trouvent pas d’emploi également. La vie des autistes est suffisamment compliquée pour qu’on ne rajoute pas à nos difficultés, me semble-t-il…
Pour que ma colère soit constructive, j’essaie de comprendre comment on en arrive encore là en 2021, alors que tout le monde dit qu’il faut « inclure » les autistes avec de grands sourires et de grandes campagnes de sensibilisation (ou d’appel aux dons pour je ne sais pas trop qui au final)… Je connais bien le retard de la France sur le sujet, mais quand même, une chose m’interpelle, comment se fait-il que les gens qui ne sont pas « spécialisés » (soit disant) dans l’autisme semblent mieux comprendre nos douleurs physiques, alors que ceux qui sont formés les ignorent?
Et j’ai trouvé ma réponse… Le vieux préjugé… La légende raconte que les autistes sont totalement insensibles à la douleur…
Et bien c’est faux, et plus on est verbaux, plus on peut au moins dire ce qu’on a (dans un lieu sécure et à une personne avec qui on se sent en confiance), et comprendre quand ce n’est pas pris en compte, et ça risque de nous rendre agressif… ou dépressif. Vous imaginez vous, expliquer que vous avez la migraine et qu’on vous fasse des reproches comme si vous deviez contrôler cette migraine pour ne pas bouleverser les horaires du jour? C’est ce que nous vivons régulièrement nous… et personnellement ça fait partie des choses qui m’ont poussée à la rupture avec les neurotypiques. Parce que c’est de la maltraitance, ni plus, ni moins.
Concernant le retard de la France, il semble quand même que la douleur est une préoccupation pour quelques spécialistes (les vrais) comme dans ce document de 2012 de Cécile Rattaz, psychologue en CRA: Évaluation et prise en charge de la douleur État des connaissances et de la recherche. ..
Sur « Autisme Info Service », on essaie de sensibiliser également: La difficulté de l’expression de la douleur chez une personne autiste (pour les petits). Et concernant ce passage: « En tant que parents, vous devez apprendre à reconnaître les signes distinctifs de la douleur de votre enfant autiste. En effet, la verbalisation du « j’ai mal » sera remplacée par des comportements inhabituels »; je me permets d’ajouter qu’une fois les signes compris, ils doivent être verbalisés, et l’enfant doit être tenu au courant de son état de santé, l’éducation aux soins passe par l’explication et permettra à votre enfant, en grandissant, de reconnaître et d’être en mesure de verbaliser ou exprimer certains problèmes avec vous ou son médecin.
En résumé, être autiste ne nous préserve pas de la douleur.
Tous les autistes ne souffrent pas des mêmes comorbidités ou de la même façon (intensité, hyper ou hyposensorialité), et c’est pour cela que le cas par cas est important.
Tous les autistes ont du mal à exprimer ou à identifier leurs maux et à donner l’alerte, mais la plupart d’entre nous peuvent apprendre à le faire… Comme dans l’imaginaire collectif, les autistes ne souffrent pas, nous ne sommes pas considérés correctement (humainement), et pas encouragés à nous saisir de notre santé, et à mon avis, ça explique les abandons de soins, la difficulté du « lâché prise » (en particulier pour les femmes TSA sans DI), la tendance à camoufler à l’excès, à forcer, à « ne pas s’écouter » jusqu’au « burn out autistique » ou à la dépression pour les moins chanceux, à l’âge adulte.
Et pour finir, une étude récente (et pas encore publiée) pense démontrer que les filles et femmes autistes souffrent plus que les garçons et hommes autistes: « Les femmes et les filles autistes éprouvent des douleurs plus fréquentes et plus invalidantes que les hommes et les garçons autistes, selon une nouvelle recherche non publiée »… Toutefois, je nous invite à prendre du recul avec ce genre d’information, il est possible aussi que les garçons l’expriment moins que les filles quand on leur demande, qu’ils soient encore victimes de la mauvaise interprétation de leurs comportements (plus visibles), ou qu’il y ait plus de garçons hypo-sensibles à la douleur également (ce qui peut être très ennuyeux lorsque la personne a une appendicite par exemple…).
J’attire votre attention sur ce passage de l’étude qui me parait vraiment important:
« En général, les soignants ont signalé moins de douleur chez les autistes que les autistes eux-mêmes. Dans le groupe ayant fait un rapport conjoint, 55 % des personnes autistes ont déclaré avoir eu des douleurs au cours de la semaine précédente, contre 40 % de leurs parents ou de leurs soignants. Dans le groupe des soignants, 29 % seulement ont déclaré que la personne autiste dont ils s’occupaient avait eu mal au cours de la semaine précédente.
Selon Mme Failla, comme les autistes peuvent exprimer différemment leur inconfort physique, les parents et les soignants peuvent ne pas voir ou ne pas comprendre les signes de douleur, ce qui entraîne une sous-déclaration. »
Qui vient démontrer, une fois de plus, que nos douleurs sont majoritairement incomprises, non visibles ou non prises en compte par les neurotypiques dont les formations sur l’autisme sont probablement erronées ou dont les préjugés sont ancrés… Et qui démontre également que les parents doivent être entendus en premier lieu si l’enfant ne s’exprime pas directement aux autres adultes (nous ne sommes pas « trop inquiets », nous avons juste une expertise de notre enfant, encore plus si nous sommes aussi autiste, et en général nos enfants communiquent mieux avec nous qu’avec le reste du monde)…
Je termine juste sur une petite note d’espoir, les médecins et les psychiatres de plus en plus formés aux problématiques des TSA, ont conscience de nos possibles douleurs ou comorbidités et peuvent essayer de nous soulager ou de nous orienter pour prendre soin de nous, à nous de nous battre pour que la prise de conscience et la remise en question des acquis se fassent à tous les niveaux…
Prenons soin de nous, et ne cachons plus ces douleurs qu’ils ne veulent pas voir 😉
Just_Autist.